005-Jugement du 22.11.12 – Trouble de jouissance (2/3)
Une seconde décision, pour la période du 18.07.2005 au 05.01.2007, du Juge de l’Expropriation de la Gironde venait compléter sa première décision pour la période du 17.01.2001 au 17.07.2005
La première décision : « Déclare Madame Brigitte WALLON divorcée Van de Velde, Monsieur Patrick WALLON, Monsieur Marc WALLON, le curateur à la succession [réputée] vacante de Monsieur Alain WALLON, bien fondés en leurs demandes de dommages et intérêts provisionnels à l’encontre du Département des Landes représenté par le Président du Conseil Général pour violation manifeste de leur droit à conserver pendant la période du 17 janvier 2001 au 17 juillet 2005 la jouissance des lieux expropriés sis 33 rue Victor Hugo à Mont de Marsan et cadastrés section AB n°210 pour une superficie de 1 are et 96 centiares.«
Cette seconde décision reprend : « Pour les motifs exposés dans la décision du 05.05.11 à laquelle la présente décision renvoie expressément, suite à la décision du de la Cour d’Appel de Bordeaux du 30.06.04, la prise de possession par la partie défenderesse constitue une violation manifeste du droit des consorts Wallon à conserver la jouissance des biens expropriés. […]
Le total du préjudice de jouissance pour la période du 18.07.2005 au 05.01.2007 est de XXX€. Le Département des Landes représenté par le Président du Conseil Général sera par suite condamné à verser solidairement à Madame Brigitte WALLON divorcée Van de Velde, Monsieur Patrick WALLON, Monsieur Marc WALLON, une somme complémentaire de XXX€ en sus de [celle précédemment liquidée] outre intérêts alloués ennemis réparation du préjudice de privation de jouissance pendant la période du 17.01.01 au 17.07.05 lors du jugement du 05.05.11.
Les intérêts au taux légal de la nouvelle somme de XXX€ seront dus à titre compensatoires à compter du 04.04.2012, date de la première transmission par fax des demandes se rapportant à cette période.
[…]
Sursoit à statuer sur les demandes de dommages et intérêts pour la période postérieure au 05.01.2007 jusqu’à la réouverture des débats…«
One Response
Contexte documentaire web
En matière d’expropriation, la réparation du trouble de jouissance fait l’objet d’une jurisprudence et d’une doctrine abondantes, qui rappellent que toute indemnisation suppose un préjudice direct, matériel et certain, résultant de la dépossession ou de troubles exceptionnellement graves causés par la procédure d’expropriation ou son exécution . Les dispositifs du code de l’expropriation, tout comme l’influence de la jurisprudence européenne, visent à trouver un équilibre entre l’intérêt général et la protection du droit de propriété, y compris dans l’examen des indemnités accessoires telles que celles octroyées pour trouble de jouissance .
La réparation du trouble de jouissance, ainsi que le confirme la doctrine récente, est régulièrement présentée comme une question délicate, voire sujette à « mirages » : il ne suffit pas d’alléguer une gêne ou un désagrément, encore faut-il démontrer que la procédure ou l’exécution de l’expropriation a, par son rythme, son ampleur ou ses modalités, causé un tort dépassant les inconvénients normaux d’une opération d’utilité publique .
La jurisprudence et la législation soulignent que l’indemnité pour trouble de jouissance vise à réparer les inconvénients anormaux, distincts du simple préjudice lié à la perte de propriété ou du transfert de jouissance opéré par l’ordonnance d’expropriation . En ce sens, l’approche retenue dans les jugements relatifs au trouble de jouissance, comme celui du 22 novembre 2012, s’inscrit dans un mouvement constant tendant à encadrer strictement l’indemnisation de ces préjudices accessoires.
Analyse approfondie
Délimitation du trouble de jouissance indemnisable
Le trouble de jouissance, pour être indemnisé dans le contexte expropriatif, doit se distinguer du préjudice principal résultant du transfert de propriété et du paiement de l’indemnité correspondante. Selon la doctrine, cette réparation vise la compensation de dommages « directs, matériels et certains » qui ne se confondent ni avec la perte de propriété, ni avec la privation classique de jouissance inhérente à toute expropriation . En pratique, seuls des troubles excédant la normale ou résultant de comportements anormaux ou fautifs de l’expropriant peuvent permettre une indemnisation autonome .
La jurisprudence, relayée dans la doctrine, rappelle la nécessité d’établir un lien direct de causalité entre la carence ou le comportement fautif de la personne publique et le dommage allégué : l’allongement déraisonnable de la procédure, des retards manifestes dans la prise de possession ou la réalisation de travaux, un manque de diligence dans le paiement de l’indemnité, ou toute situation de blocage anormal prévalant après le transfert juridique du bien entrent dans ce champ .
Enseignements tirés du jugement du 22 novembre 2012
L’arrêt du 22 novembre 2012 s’inscrit dans cette grille d’analyse. Il intervient sur la suite chronologique d’une série de litiges liés à l’exécution défaillante ou tardive d’une décision d’expropriation et à la question de savoir si le comportement de l’expropriant peut faire naître un préjudice autonome, indemnisable au titre du trouble spécifique de jouissance.
Dans les faits, les refus ou délais d’exécution de la décision d’expropriation ont plongé l’exproprié dans une situation d’insécurité, compromettant sa capacité à disposer de son bien, suscitant des incertitudes majeures sur le versement de l’indemnité et les possibilités concrètes de relogement, de réemploi ou de réaffectation du capital tiré de l’expropriation .
De façon rigoureuse, la motivation judiciaire s’attache alors à examiner :
– L’étendue du préjudice subi, sa nature et sa certitude ;
– Le caractère anormal du trouble, au regard des standards habituels de la procédure d’expropriation ;
– L’existence d’un comportement fautif, ou d’une attitude manifestement dilatoire ou négligente, de la personne publique responsable du retard ou du refus d’exécution.
L’indemnisation n’est allouée que si le trouble de jouissance ressort comme manifestement dissociable du préjudice réparé par l’indemnité principale : il s’agit donc d’un préjudice complémentaire, qui ne saurait consister en la simple contrepartie de l’utilisation légitime du bien par l’expropriant, ni en des désagréments inévitables liés à toute expropriation .
Approche comparée et exigences de preuve
Les textes principaux et la jurisprudence en vigueur s’attachent à la démonstration du caractère « anormal et spécial » du préjudice invoqué : la charge de la preuve incombe à l’exproprié, qui doit rapporter la réalité du trouble allégué (attestations, expertises, perte avérée de bénéfices, impossibilité de réaliser certains actes de gestion ou de cession…) .
Ainsi, la réparation du trouble de jouissance ne saurait se réduire à une indemnisation automatique de tout retard ou inertie dans l’exécution ; elle suppose que la carence constatée du maître d’ouvrage ou de l’expropriant ait directement placé l’exproprié dans une situation objectivement anormale et source de dommage matériel avéré .
Le juge, saisi de telles demandes, apprécie in concreto la preuve du préjudice, sa gravité et son lien de causalité avec la carence alléguée. L’indemnisation accessoire est alors proportionnée à la réalité substantielle et chiffrée du trouble.
Encadrement du contentieux et limite de l’indemnisation
La doctrine récente insiste sur la prudence impérative à adopter face aux demandes accessoires d’indemnité pour trouble de jouissance. Elle met en avant le risque de « mirages » contentieux, soulignant que les juridictions, en l’absence d’éléments tangibles d’anormalité, tendent à rejeter ces demandes ou à n’octroyer que des montants symboliques .
Ainsi, la réparation serait refusée en l’absence de démonstration d’un allongement irrégulier de la procédure, d’un préjudice économique direct, ou d’un trouble matériel distinct de la disparition de la propriété déjà indemnisée .
Dans la même veine, les décisions de justice disponibles rappellent que seul un trouble « manifestement disproportionné » permet de s’écarter du schéma classique d’indemnisation, le juge devant alors motiver particulièrement l’octroi d’une réparation complémentaire pour trouble de jouissance.
Synthèse
L’arrêt du 22 novembre 2012, relatif au trouble de jouissance consécutif à des refus ou retards d’exécution de la décision d’expropriation, souligne la fermeté du cadre jurisprudentiel et doctrinal français : la réparation du trouble de jouissance impose la démonstration d’un préjudice distinct, anormal, matériel et certain, résultant de la carence de l’expropriant. Elle ne saurait se fonder sur les seuls désagréments ou inconvénients ordinaires de l’expropriation. Cette exigence de rigueur protège l’équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les impératifs de l’utilité publique, tout en mettant en garde contre les illusions trop facilement entretenues sur l’automaticité de telles indemnisations .