008-Un jugement de partage de l’indemnité d’expropriation non payée …
Par Jugement du 09.09.15, signifié le 09.10.15, le TGI de Mont de Marsan ordonnait “encore” le partage de l’indivision correspondant à l’indemnité d’expropriation … car selon certain(e), cette indemnité ne pourrait être payée sans préalablement être partagée … Le Président de la Chambre inter-régionale déléguait Me MAYSONNAVE Notaire à PEYREHORADE …
-Me MAYSONNAVE acceptait cette délégation et se signalait auprès du TGI dès le 10.02.16, mentionnant une convocation des parties pour le 15.04.16 à 14H.
-A cette date, aimablement et sans frais, puis encore le 28.04.15, au terme d’une sommation interpellative d’huissier, force est de constater que les fonds représentant l’indemnité d’expropriation ne sont pas à la disposition du Notaire en charge de son partage.
L’indemnité n’est donc pas plus payée que valablement déconsigné à cette date.
La misère intellectuelle des créancier d’un seul indivisaire, titrés plus de deux ans après la naissance de l’indivision, pour rendre indisponibles des fonds indivis, est pourtant visible à plein nez depuis le 14.08.1998 …
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Cadre légal et contexte
Définition et principes fondamentaux
L’expropriation vise à permettre à la puissance publique de s’approprier un bien privé pour cause d’utilité publique, sous réserve d’une indemnité préalable, intégrale et juste au profit de l’exproprié . Ce principe revêt une valeur constitutionnelle, fondé sur l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le droit à indemnité ne se limite pas au chiffrage de la valeur du bien : il implique le versement effectif – c’est-à-dire la conversion du droit de créance en somme disponible – comme corollaire du transfert de propriété .
L’indemnisation doit couvrir l’intégralité du préjudice matériel, direct et certain . Le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique prévoit, selon les situations, le paiement ou, à défaut, la consignation de l’indemnité, notamment en cas de pluralité d’expropriés ou de contestation sur la qualité du bénéficiaire .
Procédure indemnitaire : paiement, consignation, partage
Lorsque le juge fixe l’indemnité, la collectivité débitrice dispose de deux modalités d’exécution :
– Le paiement effectif à l’exproprié (ou à son ayant droit clairement identifié) ;
– À défaut, la consignation judiciaire des sommes correspondant à l’indemnité, le temps de résoudre les obstacles de droit ou de fait au paiement direct (par exemple, indivision successorale non liquidée, pluralité de titulaires, contestations de créance…) .
La consignation, encadrée par le Code de l’expropriation, garantit une protection minimale du créancier mais ne possède qu’un caractère supplétif et temporaire : elle ne constitue pas un paiement libératoire tant que l’exproprié n’a pas la libre disposition de la somme .
La question du partage de l’indemnité se pose fréquemment en cas d’indivision, de succession non liquidée, de pluralité de titulaires litigieux ou d’ambiguïté quant à la répartition des droits. Ce partage est en principe de la compétence du juge judiciaire statuant, selon le cas, en matière civile ou de succession.
Jurisprudence et principe d’exécution
La jurisprudence contemporaine, soutenue par les plus récentes analyses de la matière, réaffirme avec constance que la consignation ne « purge » pas la dette indemnitaire ni ne vaut paiement effectif, sauf à démontrer à la fois :
– La réalité de la consignation au profit des véritables bénéficiaires ;
– L’absence d’obstacle réel à la délivrance de la somme .
A contrario : maintenir durablement le créancier hors du bénéfice de son indemnité – notamment à l’occasion d’un partage judiciaire – sans paiement effectif, caractérise une contrariété au principe d’indemnité juste et préalable .
La Cour de cassation rappelle par exemple que le jugement qui fixe l’indemnité judiciaire constitue non seulement la constatation du montant, mais aussi une « condamnation » de l’expropriant à payer la somme reconnue, la collectivité ne pouvant s’y soustraire en invoquant les aléas d’un partage extrajudiciaire ou notarié qui tarde ou échoue .
Exécution du partage judiciaire d’une indemnité non payée
La question posée par le jugement analysé sur https://blog.pwallon.net/wordpress/008-un-jugement-de-partage-de-lindemnite-dexpropriation-non-payee/ concerne une situation fréquente : l’indemnité d’expropriation allouée judiciairement – et devenue définitive – n’est toujours pas payée par la personne publique ; survient alors une procédure de partage judiciaire entre coindivisaires/ayant droit de la créance, dans le cadre d’un incident civil ou successoral classique.
Le partage (soit amiable, soit judiciaire) de la créance indemnitaire répond au droit commun : chaque bénéficiaire se voit attribuer une quote-part définie (en nature ou en valeur) selon les droits respectifs, l’accord (ou le jugement) opérant la liquidation et la répartition définitive. Lorsque la créance ainsi partagée n’a pas encore été exécutée par l’expropriant, le jugement de partage n’a pour effet que de clarifier la structure de répartition, mais il ne saurait valoir quittance ni purge libératoire de la dette indemnitaire : le créancier principal (ou ses ayants droit disposant de la quote-part) demeure en droit d’exiger le paiement de sa part contre l’expropriant .
Autrement dit, la procédure de partage, si elle a pour objet de régler le passif ou de répartir une créance, ne permet en aucune manière à la personne publique débitrice d’opposer à l’exproprié, ou à ses ayants droit, une prétendue exonération fondée sur l’état de la procédure : tant qu’aucun paiement n’a effectivement eu lieu, la dette subsiste.
Analyse approfondie
Les risques de mystification ou d’extinction frauduleuse de la créance
La tentative frauduleuse ou malsaine de priver les bénéficiaires d’une indemnité en n’en payant pas le montant reconnu par le juge, tout en invoquant une situation de partage judiciaire ou d’indivision non liquidée, heurte non seulement la lettre des textes mais aussi leur esprit : la créance d’indemnité d’expropriation, consacrée par le juge, est d’ordre public, inconditionnelle et bénéficie d’une protection constitutionnelle .
Tout dispositif contentieux, toute procédure tendant à retarder l’exécution (par exemple par création d’incidents procéduraux dans le partage, manœuvres dilatoires devant le juge civil, ou refus de payer/un notaire qui s’abstient…), ou toute théorie dans laquelle la créance se consumerait par simple effet du jugement de partage mais sans que le principal débiteur expropriant n’ait payé, serait explicitement contraire :
– À l’article 17 DDHC (« nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité ») ;
– Aux textes internes (articles L. 321-1 et suivants du Code de l’expropriation) ;
– Au mécanisme même de la consignation, qui n’a jamais pour effet d’éteindre la dette, encore moins lorsque le bénéficiaire n’a pas la disposition effective de la somme .
La jurisprudence pose que même en cas de pluralité de prétendants ou de partage judiciaire, la collectivité est tenue de payer sans délai la somme judiciaire, soit directement, soit à la caisse des dépôts, soit par l’intermédiaire du séquestre, pour garantir la réalité du transfert, la préservation contre toute disparition frauduleuse et éviter la spoliation .
Le jugement de partage, en tant qu’il ne fait que désigner le bénéficiaire définitif, constitue une étape supplétive, non suspensive. Il ne saurait valoir ni paiement, ni purge, ni extinction du droit à réparation ‒ et toute analyse contraire (notamment une prétendue extinction de la créance contre l’expropriant, sous prétexte de partage non suivi d’exécution) relèverait d’une véritable mystification du droit des expropriés.
Quid des recours de l’exproprié ou de ses ayants droit ?
Si un partage judiciaire intervient alors que la créance n’a pas été exécutée par la personne publique, il appartient aux bénéficiaires, une fois officiellement désignés par le tribunal, de poursuivre l’exécution forcée contre la collectivité débitrice.
La procédure de référé jugement, d’injonction de payer ou de saisie sur les deniers de l’État (art. L. 1611-5 du CGCT), comme la condamnation éventuelle à des intérêts moratoires, sont ouvertes.
En tout état de cause, il n’existe aucun mécanisme de droit positif permettant à la collectivité expropriante d’opposer à l’ex-propriétaire une exonération fondée sur la seule survenance d’un partage judiciaire non suivi d’exécution effective. Au contraire, ce serait une méconnaissance flagrante du principe d’indemnité juste et préalable, et du régime d’ordre publicattaché à la réparation de l’expropriation .
Encadrement contentieux de la consignation
Lorsque la consignation intervient (soit par décision de justice, soit à l’initiative de la collectivité), l’argent est versé auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations , qui en assure la gestion :
– La remise effective des fonds aux ayants droit ne peut intervenir qu’après justification de leur qualité ;
– En cas de difficultés de partage ou d’indivision, le juge civil est compétent pour trancher le partage, mais la créance contre la caisse reste entière.
Aucun texte ni aucune jurisprudence ne permet d’affirmer que le jugement de partage, non suivi d’exécution (consignation ou paiement), éteindrait la créance ni ne purgerait l’obligation indemnitaire de la puissance publique .
En pratique, la spoliation redoutée par certains expropriés n’est donc juridiquement pas possible : toute manœuvre destinée à priver l’exproprié de l’effet utile d’une condamnation judiciaire pourrait être contestée devant le juge de l’exécution, voire constituer une voie de fait si elle était caractérisée comme une tentative de détourner les effets d’une décision portant atteinte à un droit fondamental.
Synthèse
Le jugement de partage de l’indemnité d’expropriation non payée, loin d’éteindre la dette de la collectivité expropriante, ne constitue qu’une phase de clarification des droits respectifs des ayants droit. En l’absence de paiement effectif ou de consignation réelle à la Caisse des Dépôts, l’exproprié (ou ses ayants droit) conservent l’intégralité de leurs droits à l’indemnité fixée judiciairement et sont en droit de poursuivre l’exécution forcée. Toute théorie prétendant purger la dette par un simple partage judiciaire, sans versement indemnitaire réel, trahirait le principe constitutionnel d’indemnité juste et préalable et constituerait une atteinte grave aux droits fondamentaux des expropriés .